Grèce : une situation pré-révolutionnaire

Submitted by AWL on 11 February, 2013 - 2:46

Suite à d’assez larges discussions avec des socialistes [1] en Grèce et dans d'autres pays, nous avons écrit la résolution suivante comme base pour une discussion internationale plus formelle sur les questions en cours. Il a été traduit en différentes langues, y compris le grec. Si vous voulez écrire des commentaires ou une réponse, envoyez-les nous à awl@workersliberty.org - ou signalez-les ci-dessous.

7 janvier 2013

1. La Grèce reste dans une situation pré-révolutionnaire. Les « classes inférieures » ne veulent plus vivre sous la forme ancienne et les « classes supérieures » ne peuvent plus continuer sous la forme ancienne (comme l’expliquait Lénine). En d'autres mots, la classe régnante grecque est divisée, confuse et peu sûre d’elle-même, alors que la masse de la classe ouvrière grecque et des autres classes inférieures trouvent la situation intolérable et sont à la recherche d’une issue.
C'est une situation caractérisée par une pauvreté, une souffrance une décomposition sociale extrême. Sur une population de 11 millions de personnes, les chiffres de l'UNICEF indiquent que 500.000 enfants souffrent de la faim. 68% de la population (un chiffre qui continue à augmenter) vit en dessous du seuil de pauvreté. Le chômage est de 25%, le chômage des jeunes de 50% et, chaque jour, 2.800 personnes perdent leur emploi. S’ajoute à cela une répression étatique massive - et croissante –qui s’est encore intensifiée au début de 2013.
Mais les travailleurs grecs ne sont pas des victimes passives : on assiste à des luttes vigoureuses en résistance aux attaques menées par les classes dirigeantes grecque et européenne et à une décomposition des vieux alignements politiques. La situation pourrait évoluer à l’avenir dans une direction révolutionnaire tout autant que dans une direction contre-révolutionnaire.
Ce qui est certain, c’est que pour la grande masse du peuple grec, la seule voie de sortie est le renversement du capitalisme.

2. Depuis 2009, en réponse à la crise économique, aux attaques dramatiques contre le niveau de vie des travailleurs et au rôle de la « Troïka » (Commission Européenne / Banque Centrale européenne / Fonds Monétaire International), la Grèce a connu une polarisation politique - vers la gauche réformiste radicale et vers l’extrême-droite.
Le Pasok, le vieux parti social-démocrate, qui avait obtenu 44% des voix en 2009, s'est effondré à 13% en juin 2012 et est maintenant bien au-dessous des 10% dans la plupart des sondages. La tendance lourde a été une évolution vers la gauche, avec 50% de gens qui se définissent maintenant comme « de gauche » contre 35% « de droite ».
Au coeur de cette radicalisation se trouve Syriza, le parti de gauche qui a fortement progressé, passant de 4.6% en 2009 à 16.9% en mai 2012 et 26.9% en juin. Cependant, pendant la même période, l'Aube Dorée néo-nazie a progressé de 0,3% à 6,9% et se trouve aujourd’hui, selon la plupart des sondages, bien au-delà des 10%. Ce parti est devenu une menace sérieuse dans les rues et peut compter en plus sur un appui important dans la police.

3. Syriza, qui est actuellement en train de se transformer en un parti, était jusqu’ici une coalition créée par Synaspismos, une formation qui a émergé de l'aile eurocommuniste du KKE, le parti communiste stalinien. En termes généraux, Syriza est d’orientation social-démocrate de gauche, mais son caractère politique est plus frais et plus radical que celui de forces comparables ailleurs (Die Linke en l'Allemagne, le Front de Gauche en France).
Syriza compte en son sein de nombreuses tendances. Il y a trois ailes principales : la direction actuelle, qui représente le courant principal de Synaspismos ; une aile droite qui inclut d’anciens parlementaires du Pasok ; et une aile gauche composée du « Courant de gauche » de Synaspismos et de la plupart des 12 autres composantes de la coalition, en particulier les groupes trotskistes Kokkino et DEA. Lors de la conférence nationale de novembre, une résolution de cette aile gauche a reçu 25% des voix. La direction, quant à elle, a zigzagué entre la gauche et la droite.

4. La distance crée des difficultés pour juger des questions tactiques, mais nous croyons qu’'il est juste pour les révolutionnaires en Grèce de travailler dans Syriza. Avec toutes ses limitations, Syriza est devenu le centre politique de la résistance des travailleurs dans cette crise pour trois raisons : parce qu'il pose la question du pouvoir gouvernemental ; parce qu'il préconise de l'unité de la gauche ; et parce qu'il prend une position non-nationaliste sur l'Europe. Il est maintenant au centre de débats politiques qui, en Grèce, ne sont plus confinés à de petits cercles des révolutionnaires mais touchent une large couche des travailleurs.
En dépit de leur de petite taille, tant Kokkino que DEA semblent avoir été capables d’avoir un impact significatif. C'est Kokkino qui a initié la campagne pour relancer Syriza en 2009-10, quand la vieille aile droite de la coalition – qui fait maintenant partie du gouvernement bourgeois de coalition sous le nom de « Gauche Démocratique » - a essayé de mettre fin à l’expérience.
Le faible résultat électoral obtenu par Antarsya, l'alliance de la gauche révolutionnaire, et le fait qu'il se soit effondré brusquement dans une période de radicalisation semblent également confirmer ce jugement.

5. Quel doit être le but d’un travail dans Syriza ? Exposer ses limitations devant la classe des travailleurs ? Faire évoluer le parti tout entier vers la gauche ? Gagner la direction dans celui-ci ? Pousser vers la sortie l’aile droite de la coalition ? Gagner une majorité pour les idées révolutionnaires ? Ou simplement recruter de nouvelles forces ?
La réponse est : tout cela à la fois. Etant donné la situation en Grèce, et la nature extrêmement fluide et provisoire de l'organisation de Syriza, il n'est pas inconcevable que les révolutionnaires puissent gagner une majorité dans le parti. Mais, de toute façon, tout ceci ne peut pas être décidé à l'avance, mais sera seulement tranché dans la lutte.

6. Le KKE, en dépit de la contraction de ses votes, est le parti le plus ancien de la gauche grecque et reste le plus fort en termes de nombre de militants ouvriers conscients et actifs – et ceci selon beaucoup de militants de gauche qui lui sont pourtant hostiles. C’est un parti profondément stalinien et tout à fait sectaire, refusant dans la plupart des cas un front uni avec d'autres forces de gauche, même au niveau des actions de rue.
Néanmoins, étant donné sa force organisationnelle, il reste essentiel pour la gauche révolutionnaire et pour Syriza de proposer aux militants du KKE un front unique des travailleurs dans la lutte. Naturellement cette idée d'un front unique devrait également s’étendre aux travailleurs impliqués dans les groupes socialistes révolutionnaires en dehors de Syriza et aux anarchistes de lutte de classe - mais l'action unie entre les deux organisations ayant une base de masse significative dans la classe des travailleurs grecque est centrale.

6. La tâche la plus urgente qui exige un front unique des travailleurs est de faire face à la menace constituée par l’Aube Dorée. Les fascistes ne sont pas simplement une force électorale. Ils s’organisent dans la rue et deviennent de plus en plus audacieux et violents, se spécialisant dans les attaques contre les immigrés. Dans certains quartiers des villes, les milices de l'Aube Dorée sont une force importante. En outre, la police – au sein de laquelle le soutien à l'Aube Dorée est fort - travaille étroitement avec les fascistes.
Tout en votant au parlement en faveur de toutes les attaques contre la classe des travailleurs, en dénonçant la vraie résistance anticapitaliste (grèves de travailleurs, occupations étudiantes,…) et en soutenant la répression contre celle-ci, l'Aube Dorée se présente elle-même comme un parti « anti-système ». Elle a mis en place des projets sociaux comme des distributions de produits alimentaires - « pour les Grecs seulement ». En plus de sa terreur continue contre les immigrés et les minorités ethniques, l'Aube Dorée a commencé à attaquer les personnes LGBT, les projets culturels progressifs et la gauche, y compris des dirigeants ouvriers de premier plan.
En dépit du danger, il semble que, dans une parodie de ce qui s’est passé au début des années ‘30 en Allemagne, ni le KKE ni Syriza ne prennent au sérieux cette menace. Il y a un besoin urgent d’un front uni antifasciste qui puisse non seulement remplir les rues de manifestants à travers toute la Grèce, généralisant les récentes mobilisations réussies contre l'Aube Dorée (contre-manifestations de masse, patrouilles de rue), mais qui puisse aussi créer des groupes d’autodéfense ouvrière capables d’affronter et de battre les bandes fascistes.

7. Le combat contre les fascistes n'est pas séparable de la lutte générale de la classe des travailleurs pour défendre ses droits et ses conditions de vie.
Pendant la période des deux élections, il y a eu un ralentissement du tempo de la lutte sur les lieux de travail et les quartiers, car les gens se sont tout naturellement tournés vers la « politique » pour résoudre une crise qui ne peut pas être surmontée par des luttes économiques isolées.
Néanmoins aucune politique ouvrière viable n'est possible sans l’intensification de telles luttes. La classe dirigeante ne peut pas être renversée sans qu’il y ait une résistance efficace à ses attaques sur les lieux de travail et dans les quartiers (grèves, occupations d’usines, occupations de bâtiments) - et il en va de même pour briser les fascistes. C'est particulièrement vrai quand, comme dans beaucoup de cas, les fascistes et les forces d'Etat coopèrent étroitement.

8. La gauche révolutionnaire en Grèce devrait chercher à tester et à mettre sous pression la gauche réformiste radicale plus large en soutenant l'appel de Syriza pour un « gouvernement de la gauche unie » et en menant l'agitation pour un gouvernement des travailleurs - un gouvernement basé sur la classe des travailleurs et de la majorité du peuple grec et défendant leurs intérêts de la même manière que le gouvernement actuel sert la classe dirigeante.
Trotsky a décrit ceci dans le Programme de Transition comme « la revendication, systématiquement adressée à la vieille direction : « Rompez avec la bourgeoisie, prenez le pouvoir »… De tous les partis qui se basent sur les travailleurs… et parlent en leur nom nous exigeons qu'ils rompent politiquement avec la bourgeoisie et qu’ils s’engagent sur la route de la lutte pour un « gouvernement des travailleurs »… En même temps, nous développons infatigablement l'agitation autour de ces revendications transitoires qui devraient à notre avis former le programme d’un gouvernement des travailleurs. »
En d'autres termes, les révolutionnaires grecs devraient poser la question - si la gauche gagne la prochaine élection et forme un gouvernement, de quel genre sera ce gouvernement ? - et chercher à lier la question du gouvernement aux défis auxquels font face les travailleurs (se défendre au travail et dans les quartiers, prendre le contrôle des entreprises, battre l’Aube Dorée, annuler le « mémorandum », de la Troïka, nationaliser les banques, etc.).

9. Pour qu’un « gouvernement des travailleurs » soit autre chose qu'un épisode « de gauche » passager qui s’effondre devant la réaction capitaliste, que celle-ci soit pacifique ou violente, il est nécessaire que les travailleurs créent des structures d’auto-organisation comparables aux Conseils Ouvriers ou au moins aux « Commissions de Quartiers » qui ont existé pendant la révolution portugaise de 1974-5 ou aux « Cordones » au Chili en 1972-3.
Les assemblées de quartier qui sont apparues dans beaucoup de régions de Grèce ces dernières années doivent être revivifiées, liées entre elles et développées vers un système de démocratie ouvrière auto-organisée – afin de promouvoir le contrôle des travailleurs au niveau local et devenir la base du gouvernement des travailleurs. Le processus de transformation des syndicats, qui a commencé à virer la vieille bureaucratie liée au Pasok, doit être mené à a son terme. Et, une fois de plus, il est nécessaire de créer des groupes d’autodéfense ouvrière et une milice de travailleurs, en premier lieu contre l'Aube Dorée.
Il n'y a pas de voie pacifique au socialisme en Grèce. Même un gouvernement de la gauche réformiste modéré ferait face à une intense activité de l'armée et de la police visant à le déstabiliser.

10. Un « gouvernement des travailleurs » n'est ni une fin en soi, ni même une étape nécessaire et inévitable dans le développement d'une révolution en Grèce. S'il apparaît sous une forme ou une autre, il devrait être vu comme un pas en avant – et seulement un pas en avant - dans la lutte pour le pouvoir des travailleurs et le socialisme.
La question n'est pas de spéculer sur des scénarios, mais de trouver comment les révolutionnaires peuvent le mieux mettre à l’épreuve la gauche réformiste et gagner une plus grande audience pour les idées révolutionnaires.

11. Le KKE et la majeure partie de la gauche révolutionnaire hors de Syriza attaquent le refus de Syriza d’appeler à une sortie de la Grèce de l’euro ou de l’Union européenne. C'est une position erronée. Il n'y a rien d’anticapitaliste à préconiser avec insistance une « sortie » de la Grèce. En fait, quelles que soient les intentions de ceux qui la préconisent, cette position est nationaliste.
Certes, les travailleurs en Grèce ne devraient pas attendre des mouvements ailleurs en Europe ou accepter des sacrifices pour sauver l’adhésion grecque à l'euro ou hésiter en raison de la menace d’une exclusion de la Grèce. Mais ils ne tireraient pas bénéfice d’une sortie de la Grèce de l'UE ou de l'euro. Sous un gouvernement bourgeois, il n'est pas plus dans les intérêts des travailleurs de quitter l'UE ou l'euro que d’y rester.
La gauche révolutionnaire dans Syriza a raison de dire « Aucun sacrifice pour l'euro » et « Non pas euro contre drachme, mais classe contre classe ». Par ailleurs, si la Grèce sous un gouvernement de gauche ou un gouvernement des travailleurs, est menacée d’expulsion de la zone euro ou de l'UE, les travailleurs à travers l'Europe devraient se mobiliser pour s'y opposer. Pour le mouvement ouvrier grec, revendiquer la sortie signifierait laisser les chefs de l'UE tirer leur épingle du jeu et rater l'occasion de construire la solidarité au niveau européen.

12. Les dirigeants de Syriza sont en train d’échouer à préparer sérieusement les travailleurs tant aux tentatives inévitables de la classe dirigeante grecque et de sections de la machine d'Etat pour déstabiliser un gouvernement de gauche qu’à la possibilité que la Grèce soit exclue de l'euro.
Si un « gouvernement des travailleurs » est exclu de l'euro ou de l’UE, les socialistes1 devraient combattre pour des mesures fortes de contrôle des travailleurs afin de faire face aux conséquences économiques inévitables, comme s’emparer des entreprises ayant fermé leurs portes et établir le contrôle des travailleurs sur la distribution des produits alimentaires.
Même dans un petit pays comme la Grèce, un contrôle « démocratique révolutionnaire » par les travailleurs (Lénine) pourrait considérablement diminuer l'impact de l'isolement économique imposé, donnant plus de temps pour établir un mouvement au niveau européen pour venir au secours de la Grèce et, par la suite, réorganiser l'Europe toute entière sur une base socialiste.

13. Des avancées de la classe des travailleurs en Grèce encourageront la lutte de classe à travers l'Europe, particulièrement en Europe du sud, et, en retour, le maintien et le développement de ces avancées dépendra des avancées des travailleurs ailleurs. Nous devons faire de la solidarité avec la Grèce une question centrale pour le mouvement ouvrier de chaque pays européen, en cherchant à lier les luttes des travailleurs par-delà les frontières nationales et en avançant l’objectif d'un Etat Uni Socialiste d'Europe.

[1] Note du traducteur
La traduction du terme « socialiste » tel qu’il est employé ici par l’AWL n’est pas aisée, parce qu’il a des significations différentes en Europe du Nord et du Sud, en raison de contextes politiques historiquement différents.
Dans les pays du nord de l’Europe, les partis traditionnels de la gauche se nomment « travaillistes » (Grande-Bretagne, Pays-Bas) ou « sociaux-démocrates » (Allemagne, Scandinavie) ; le terme « socialiste » est dès lors utilisé pour désigner les forces et les personnes sur leur gauche qui se réclament du socialisme, qu’elles soient réformistes, révolutionnaires ou entre les deux.
Par contre, dans les pays d’Europe du Sud (Espagne, Portugal, Italie, France, Belgique), ces mêmes partis traditionnels se nomment Partis Socialistes et le mot « socialiste » leur est historiquement associé. Le « socialiste » anglo-saxon recouvre dans nos pays les forces et les personnes qui constituent les nébuleuses de la « gauche antilibérale » et de la « gauche anticapitaliste ».

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