* L’islam politique, le fondamentalisme chrétien, le marxisme et la gauche aujourd’hui

Submitted by cathy n on 9 January, 2016 - 11:42 Author: Sean Matgamma

(Nous reproduisons ci-dessous des extraits d’un article qui a suscité une très violente polémique au Royaume Uni à cause de quelques lignes au ton très maladroit. Nous avions déjà marqué nos divergences avec l’auteur de ce texte (Sean Matgamma) et sa compréhension assez simpliste des motivations des commandos suicides dans notre compil’ n° 2 Islam, islamisme et islamophobie,.

Nous pourrions de même critiquer un autre article paru début décembre dans Solidarity, signé cette fois d’Eric Lee, et préconisant d’appliquer les analyses développées dans La psychologie de masse du fascisme (Payot, 1977) par Wilhelm Reich aux sociétés musulmanes où sévissent les jihado-terroristes actuels et Daech en particulier. Seul problème : Lee oublie tout simplement de nous proposer une «analyse concrète d’une situation concrète», démarche à laquelle s’était au moins livré Wilhelm Reich, quoi qu’on pense de ses recherches et de ses conclusions.

Ceux que ce débat autour des propos contestables de Sean Matgamma intéressent pourront s’y reporter sur le site de l’AWL notamment ici : http://www.workersliberty.org/2013weekschool.

Nous avons préféré ne pas traduire ces passages et quelques autres qui nous ont semblé peu utiles pour comprendre la nature de l’islam politique, sujet central de ce numéro de la revue. D’autant plus que l’AWL a publié des textes beaucoup plus clairs et que sa position collective a, me semble-t-il, évolué depuis 2007. Par contre, cet article contient des réflexions pertinentes par rapport aux clichés gauchistes sur les rapports entre «impérialisme» et islamisme, raison pour laquelle nous l’avons traduit. NPNF.)

Dans de nombreux pays, la religion et les différends à son sujet, ou les différends exprimés en termes religieux, ont longtemps été au centre de la vie politique – qu’il s’agisse de l’Espagne, du Portugal, de l’Irlande, ou des Etats-Unis ; de l’Iran, de l’Algérie, du Liban ou d’Israël-Palestine. Aujourd’hui, depuis que les terroristes islamistes ont attaqué New York le 11 septembre 2001, la religion ou les préoccupations et les intérêts exprimés en termes religieux sont au centre de la politique internationale à un degré sans équivalent depuis des centaines d’années.

Contrairement à la thèse de Francis Fukuyama après la chute de l’URSS, nous n’avons pas atteint «la fin de l’histoire». Nous semblons repasser par des étapes de notre histoire qui se sont déroulées il y a fort longtemps.
Pour trouver une période durant laquelle la religion a occupé une place aussi importante qu’aujourd’hui dans la politique internationale, il nous faut revenir aux guerres entre catholiques et protestants en Europe, guerres qui prirent fin avec le traité de Westphalie en 1648, ou aux guerres entre l’Islam et l’Europe chrétienne qui se terminèrent à peu près au même moment, avec l’échec des Turcs musulmans suite au siège de Vienne en 1683.

(...) Il est tentant – et une grande partie de la pseudo-gauche y a succombé – d’analyser la «guerre contre le terrorisme» comme une «machination» concoctée artificiellement pour remplacer l’ancienne guerre froide avec la Russie stalinienne, comme un complot des néo-conservateurs. Ceux-ci auraient été en effet persuadés de la nécessité de fabriquer un «noble mensonge» pour créer un ennemi extérieur servant à cimenter nos sociétés capitalistes atomisées. Cette explication est tentante, mais stupide.

Même si les dirigeants américains se sont emparé des attaques contre New York le 11 septembre 2001 pour mettre en application une stratégie définie bien avant ces attentats – la guerre en Irak, par exemple –, ils n’ont pas pour autant fabriqué de toutes pièces et planifié l’apparition de l’islam politique militant, ou plutôt, l’émergence de l’islam politique comme une force sur la scène politique internationale, capable d’organiser des opérations mortelles à l’extérieur des pays musulmans pour frapper les pays capitalistes avancés, peuplés d’impies et d’infidèles.

«L’Occident» a certes encouragé et favorisé l’islam politique. Israël a favorisé la montée des islamistes politiques qui, au cours des sept dernières années ont lancé des roquettes sur les villes israéliennes ; son intention était de diviser les Palestiniens et d’entraver l’émergence d’une politique rationnelle favorable à la création de deux Etats.

Les Etats-Unis ont contribué à financer et armer les forces islamistes derrière le 11 septembre lorsque certains d’entre eux ont combattu les envahisseurs russes de l’Afghanistan dans les années 1980.

La Russie stalinienne a encouragé et applaudi (comme l’ont fait la gauche et la pseudo-gauche dans des pays comme la Grande-Bretagne) la montée de l’islam politique au pouvoir en Iran en 1979.

En fait, de vieilles stratégies pro-staliniennes continuent à influencer une grande partie de la gauche kitsch (1) : par exemple, ces militants expliquent la montée de l’islam politique en Afghanistan, non par le fait que les Russes ont essayé d’annexer ce pays comme une colonie traditionnelle, mais parce que les ennemis de la Russie stalinienne, pour leurs propres raisons, ont aidé les Afghans à mener une guerre juste (quoique tragiquement compliquée, puisque un Afghanistan rural-primitif s’affrontait à un Afghanistan urbain et relativement avancé).

Cependant ce ne sont ni les Etats-Unis ni l’URSS qui ont créé l’islam politique, ou ont joué un rôle irremplaçable dans son ascension. Ce courant possède d’autres racines, proprement autochtones.

Dans les pays arabes, en particulier, l’islam politique a profité de l’effondrement du nationalisme arabe pour occuper un espace politique laissé vide. Le nationalisme arabe s’est en partie effondré parce qu’il avait réalisé tout ce qu’il pouvait obtenir – l’indépendance des pays arabes tels que l’Egypte et l’Irak, semi-dépendants de la Grande-Bretagne jusqu’aux années 1950.

Le nationalisme arabe s’est aussi effondré parce qu’il a échoué à atteindre ses deux objectifs politiques centraux, la destruction d’Israël et l’unité panarabe. Le thème de l’«unité de la nation arabe», ardemment soutenu par les nassériens, les baasistes et les partisans de Kadhafi, a pendant un moment permis de fusionner le mysticisme islamique avec des objectifs apparemment rationnels. Ces aspirations ont donné au nationalisme arabe, à son apogée, une tonalité plus religieuse que laïque.

Les divisions géographiques entre les États arabes ont été artificiellement délimitées par les impérialistes britanniques et français après la Première Guerre mondiale, mais, comme dans beaucoup d’autres unités appartenant à d’ex-Etats coloniaux, elles se sont révélées durables. L’existence d’élites locales, et l’absence d’une économie commune interconnectée dans le monde arabe, ont joué un rôle décisif dans l’échec de l’unité arabe. Même lorsqu’une unité interétatique a pu temporairement se réaliser (entre l’Egypte et la Syrie en 1958-1961), elle était largement fictive et n’a pas duré longtemps, même en façade.

Contrairement au nationalisme arabe, l’islam politique exprime l’aspiration quasi mystique à l’unité arabe – et plus largement à l’unité islamique en termes proprement religieux et politico-religieux. L’aspiration à «restaurer le califat» (entité s’inspirant de l’empire islamique turc avant la Première Guerre mondiale et dont faisaient partie les pays arabes orientaux, à l’exception de l’Egypte) fut l’ancêtre et est maintenant l’héritière de ce courant du nationalisme arabe.

Mais, surtout, le nationalisme arabe n’a pas réussi – étant un mouvement bourgeois et petit-bourgeois il ne pouvait qu’échouer – à satisfaire les aspirations des masses à transformer totalement la dure vie des ouvriers et paysans arabes, exploités et humiliés par les classes dirigeantes arabes et les bureaucraties étatiques et militaires.

Pour cela, l’abolition du capitalisme et des vestiges féodaux, et la conquête du pouvoir d’Etat par les ouvriers à la tête des paysans pauvres – un gouvernement des travailleurs – était nécessaire. La rhétorique «anti-impérialiste» et anticoloniale du nationalisme arabe s’opposait à cette idée, en enchaînant les prolétaires et les paysans dans une alliance avec les dirigeants bourgeois et petits-bourgeois.

Lorsque l’indépendance des pays arabes devint une réalité substantielle – en Egypte, après l’échec de l’invasion franco-britannico-israélienne de Suez, en 1956 pour renverser le régime de Nasser ; en Irak, avec la révolution républicaine de 1958, etc. – le nationalisme arabe se réduisit à une démagogie creuse au service d’objectifs qui étaient réactionnaires (la destruction d’Israël) ou irréalisables («l’unité arabe»).

Cette démagogie creuse rencontrait les aspirations confuses des masses populaires qui souhaitaient une transformation radicale de leur vie quotidienne, mais ces partisans enthousiastes ne réussirent ni à traduire ces aspirations en une série de mesures rationnelles indispensables (en premier lieu, le renversement des classes dirigeantes et bureaucraties étatico-militaires arabes), ni évidemment à les satisfaire.

Face à la dégradation sociale des masses arabes et islamiques, l’islam politique apporte une certaine satisfaction immédiate (religieuse voire mystique), même si la solution fondamentale qu’il propose n’est pas d’ordre terrestre mais céleste dans une vie imaginaire après la mort. Il répond ainsi, de façon beaucoup plus efficace, aux aspirations millénaristes sous-jacentes à l’ancien nationalisme arabe. En tout cas, il a vaincu ce courant et s’est construit sur ses ruines.

L’islam politique exprime aussi les déceptions et les frustrations de la masse de la population dans les pays majoritairement musulmans où règne le dénuement et la pauvreté – dans les franges du monde capitaliste prospère (...).
Les causes profondes des succès de l’intégrisme islamique ne sont à rechercher ni dans le soutien caché de l’Occident ni dans les manipulations des néo-conservateurs.

(...) Et il nous faut tenir compte de tous les fondamentalismes religieux, pas simplement du fondamentalisme islamique, qui est pour le moment le plus spectaculairement militant. Il existe également un christianisme primitif militant, dont on observe les manifestations les plus importantes aux Etats-Unis.

Il est amusant de constater que les Etats-Unis, censés incarner le principal rempart international contre l’islam politique, soient eux-mêmes affectés par leurs propres fondamentalistes ignorants. Ces chrétiens sont sous l’emprise d’une foi hallucinée, aveugle et dogmatique dans la Bible comme étant la parole littérale de Dieu. Fanatiques, ils croient fermement que leurs sentiments, leurs aspirations et leurs désirs religieux sont des vérités supérieures à la raison et la science modernes. Et ils représentent une force politique affirmée et de plus en plus active aux Etats-Unis. Ce christianisme «fondamentaliste», aussi primitif et antirationnel que l’intégrisme musulman, constitue une force croissante dans ce qui est, sur le plan technologique, la société la plus avancée sur la Terre! Le président des Etats-Unis appartient à ce courant.
Ils tentent d’exprimer un christianisme post-darwinien – alors que cette religion a été totalement défaite, sous ses anciennes formes, par la science moderne. Le christianisme pré-darwinien incorporait une grande partie des connaissances séculières et des pseudo-connaissances sur le système solaire, la Terre, et ses peuples. La religion chrétienne moderne, même dans ses formes les plus sophistiqués, ne peut l’accepter.

Et ce phénomène ne touche pas seulement l’Amérique. Quand un journaliste a demandé au Premier ministre Tony Blair, si lui et le président George W. Bush priaient ensemble, sa question était très sérieuse. Le Premier ministre britannique était un crypto-catholique qui allait à la messe régulièrement (depuis qu’il n’est plus Premier ministre, il a ouvertement rejoint l’Église catholique). Une des ministres du New Labour, Ruth Kelly, appartenait à l’Opus Dei, organisation catholique quasi secrète, née dans l’Espagne clérico-fasciste de Franco.

Le gouvernement du New Labour favorise les «écoles confessionnelles», ces écoles organisées sur une base sectaire religieuse!

En Grande-Bretagne aujourd’hui le militantisme de chaque religion sectaire se nourrit du militantisme des autres et les stimule. Lorsque les Sikhs de Birmingham se sont révoltés contre une pièce de théâtre (interprétée par une femme d’origine sikh) qui ne leur plaisait pas, et qu’ils ont réussi à obtenir l’annulation des représentations, les autres religions ont joint leurs voix pour justifier cette mesure. Demain, ils se disputeront férocement, mais aujourd’hui les bigots des différentes religions se tiennent par la main pour combattre les forces de la laïcité et de la raison!

Le cardinal catholique Cormac Murphy-O’Connor se prononce désormais sur les questions politiques, sans le moindre complexe. L’Etat britannique dispose aujourd’hui d’une loi qui élimine une grande partie des distinctions entre les appels à la haine raciste et ethnique à l’encontre des personnes, d’un côté, et, de l’autre, l’expression d’une hostilité envers leurs idées religieuses. Cette loi a été adoptée sous l’influence d’un Premier ministre crypto-catholique pour apaiser l’islam britannique; soucieux de calmer le fanatisme islamique, cette loi fait partie d’une vaste offensive contre les libertés démocratiques bourgeoises traditionnelles, principalement motivée par la guerre contre le terrorisme islamiste.
Nous risquons de revenir plusieurs décennies en arrière, au temps pas si lointain où, en Grande-Bretagne, on pouvait être poursuivi pour «manque de respect» ou «obscénité» si l’on représentait ou décrivait Jésus-Christ.
Aux Etats-Unis, les fondamentalistes chrétiens ont lancé une nouvelle offensive contre le darwinisme, offensive qui se poursuivra même si la Cour suprême du Maryland les a déboutés.

En Amérique, les racines du renouveau religieux et de la croissance des mouvements religieux sont quelque peu différents de celles de l’islam politique militant. C’est le vide spirituel provoqué par le capitalisme prospère qui attire les gens vers des formes primitives de religion ou les y maintient prisonniers – même si, bien sûr, tous les citoyens américains sont très loin de bénéficier de cette prospérité; un grand nombre de gens là-bas, aussi, sont des mendiants exclus des festins des riches.

«L’homme ne vit pas seulement de pain», dit justement le Christ dans le Nouveau Testament ; et il ajoute «mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu.» Nous aspirons tous à quelque chose de plus élevé que l’état d’«animal civilisé» à laquelle la société commerciale-capitaliste tente de nous assigner – même si, ou surtout lorsque, le capitalisme est incapable de satisfaire son propre idéal consumériste. Il est donc normal que les gens croient en quelque chose d’autre que cet idéal.

Ils aspirent à une sécurité impossible dans une société réglée par le marché et affectée par ces vagues de tsunami endémiques que sont les récessions économiques ; les décisions rationnelles (pour les capitalistes) prises par des multinationales qui déménagent des industries entières d’une extrémité d’un pays à l’autre, ou d’un Etat à un autre, en quête d’une force de travail moins chère ; la menace de la dégradation continue et de la ruine de notre système écologique mondial.

Dans les courants populistes évangéliques américains, il y a toujours eu une dimension de protestation contre le capitalisme, contre le mercantilisme et le pouvoir de l’argent, et contre beaucoup des éléments du monde moderne – comme chez tant de partisans de l’islam politique aujourd’hui.

En même temps, nous assistons au déclin de l’influence des Eglises chrétiennes hiérarchiquement organisées et théologiquement sophistiquées – l’Église catholique est discréditée par les scandales sexuels, même dans son plus fort bastion européen, en Irlande – et la croissance des croyances ou demi-croyances de masse en des «superstitions» primitives – les cartes de tarot, les horoscopes, la«sorcellerie», pratiques extérieures à la théologie et aux rituels des Eglises chrétiennes établies – ou en marge de celles-ci. Ces effluves spirituels et intellectuels sont les matières premières, et peut-être les signes précurseurs, de courants religieux organisés et plus agressifs. En Orient comme en Occident, la croissance et l’augmentation de la centralité de la religion découlent, en très grande partie, du déclin et de l’échec du socialisme comme force de masse (...).

Pourtant, la première conséquence, pour la gauche kitsch, de l’actuel renouveau fétide de la religion a été de dévoiler au grand jour son terrible manque de confiance en soi idéologique et politique et ses faiblesses multiples.
En Grande-Bretagne, aux Etats-Unis, et dans de nombreux autres pays, la pseudo-gauche s’est effondrée en se prosternant aux pieds de l’islam politique militant. Elles se placent aux côtés des fascistes religieux – même avec Al-Qaïda (2) – contre le mouvement ouvrier irakien !

Sean Matgamma, août 2007

(1) La «kitsch Left» (que l’on pourrait traduire aussi par la «gauche de pacotille») est une expression polémique qu’emploie l’AWL pour désigner ceux qu’elle considère comme des «anti-impérialistes réactionnaires». Cf. notamment dans NPNF n° 27/28/29 : «La gauche et l’anti-impérialisme réactionnaire : la théorie de l’adaptation» de Colin Barker et «L’islamisme et la nouvelle gauche arabe» de Sacha Ismail (NdT).

(2). On en trouvera une illustration récente dans un article du 4 décembre 2015 du journaliste Marc Orr sur le site de la Stop the War Coalition, à l’origine des grandes manifestations anti-guerre en 2003 au Royaume Uni : «Le mouvement jihadiste qui a fini par engendrer Daech est beaucoup plus proche de l’esprit de l’internationalisme et de la solidarité qui animait les Brigades internationales que la campagne de bombardements de Cameron – sauf que le jihad international prend la forme d’une solidarité avec les musulmans opprimés, plutôt qu’avec la classe ouvrière ou la révolution socialiste.» Sans commentaire ! (NdT)

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